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TRIBUNAL ADMINISTRATIF DE LA POLYNÉSIE FRANÇAISE
M. Fabrice S.
N° 1600342
Audience du 7 février 2017
Lecture du 21 février 2017
Vu la procédure suivante :
Par une requête enregistrée le 30 juin 2016 et un mémoire enregistré le 29 août 2016, présentés par Me Eftimie-Spitz, avocate, M. Fabrice S. demande au tribunal :
1°) d’annuler la décision du 21 juin 2016 par laquelle le chef du service de l’urbanisme de la Polynésie française a rejeté sa demande de permis de construire ;
2°) d’enjoindre à l’administration d’instruire sa demande et de statuer dans un délai de 24 jours à compter de la notification du jugement à intervenir, sous astreinte de 200 000 F CFP par jour de retard ;
3°) de mettre à la charge de la Polynésie française une somme de 150 000 F CFP au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.
Le requérant soutient que :
- l’administration ne lui a pas notifié de lettre de recevabilité, en méconnaissance des dispositions de l’article A. 114-15 du code de l'aménagement de la Polynésie française ;
- dès lors que l’article A. 114-9 du code de l'aménagement de la Polynésie française exige seulement une attestation du demandeur qu’il remplit les conditions définies à l’article A. 114-8 pour déposer une demande de permis de construire, l’administration ne peut examiner le titre de propriété du pétitionnaire ;
- la demande de permis de construire ayant été déposée par un mandataire, l’administration n’avait pas la possibilité de s’interroger sur les droits de propriété du mandant, de sorte que la décision attaquée est entachée d’erreur de droit ;
- il est titulaire d’un permis de construire tacite né le 6 mai 2016 ;
- son titre de propriété, qui n’a pas été annulé, est antérieur à l’arrêt de la cour d’appel de Papeete du 17 mars 2016, qui n’est opposable ni aux SNC Delano 6 et 7, ni à lui-même ; il a la qualité de propriétaire apparent ; la circonstance que la nullité de la vente est demandée devant le juge judiciaire est sans incidence sur son droit à l’obtention du permis de construire ; la décision attaquée est entachée d’erreur de qualification juridique des faits au regard des dispositions de l’article A 114-8 du code de l'aménagement de la Polynésie française.
Par un mémoire en défense enregistré le 10 août 2016, la Polynésie française conclut au rejet de la requête.
Elle soutient que :
- l’absence de notification du caractère recevable de la demande n’est pas de nature à entraîner l’annulation de la décision ; en tout état de cause, l’administration avait jusqu’au 30 juin 2016 pour procéder à cette notification et a opposé un refus de permis de construire le 21 juin ;
- la demande présentée pour M. S., déposée le 15 juin 2016, n’a pas donné lieu à un permis de construire tacite ;
- l’administration ayant eu connaissance par les media de l’arrêt de la cour d’appel de Papeete du 17 mars 2016, l’attestation du demandeur portant sur une parcelle dont la propriété fait l’objet d’un doute sérieux doit être considérée comme caduque ou erronée ;
- l’administration n’a pas cherché à examiner le titre de propriété du pétitionnaire ; ce dernier a perdu sa qualité de propriétaire apparent du fait de l’arrêt publiquement connu de la cour d’appel de Papeete du 17 mars 2016, qui a jugé que les sociétés civiles immobilières qui ont vendu les lots viabilisés ne peuvent être considérées comme propriétaires dans la mesure où leurs vendeurs ne l’étaient pas.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la loi organique n° 2004-192 du 27 février 2004 ;
- le code de l'aménagement de la Polynésie française ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l’audience.
Ont été entendus au cours de l’audience publique :
- le rapport de Mme Meyer, première conseillère,
- les conclusions de M. Retterer, rapporteur public,
- les observations de Me Eftimie-Spitz, représentant M. S., et celles de M. Le Bon, représentant la Polynésie française.
Une note en délibéré présentée par la Polynésie française a été enregistrée le 16 février 2017.
1. Considérant que par un acte du 4 juin 2014, qui détaille la procédure judiciaire en cours depuis 1990 concernant la revendication de la propriété du terrain vendu par les consorts Pomare, en précisant qu’elle n’a pas encore abouti à une décision définitive, M. S. a acquis une parcelle référencée CD n° 640 au cadastre de la commune de Punaauia, constituant le lot n° 598 du lotissement Miri ; qu’il a déposé le 15 juin 2016 une demande de permis de construire une maison d’habitation sur ce terrain ; que par la décision attaquée du 21 juin 2016, le chef du service de l’urbanisme de la Polynésie française a rejeté cette demande au motif que l’administration était informée d’une contestation sérieuse sur le droit de propriété de l’ensemble des parcelles du lotissement Miri, de sorte qu’il ne pouvait être regardé comme disposant d’un titre l’habilitant à construire ;
2. Considérant qu’aux termes de l’article A. 114-15 du code de l'aménagement de la Polynésie française relatif à l’instruction des demandes de permis de construire : « (…) 2.- A compter de la réception de la demande, le service instructeur affecte un numéro d’enregistrement à la demande et en accuse réception (…) / Cet accusé réception précise le numéro d’enregistrement de la demande et informe le demandeur que l’autorité compétente dispose d’un délai de quinze (15) jours pour constater le caractère recevable du dossier ou pour réclamer, par lettre recommandée avec demande d’avis de réception postal, les pièces manquantes au titre de la recevabilité du dossier. (…) » ; que la notification du caractère recevable du dossier n’est pas prescrite sous peine de nullité de la décision prise sur la demande de permis de construire ; que, par suite, le moyen tiré de la méconnaissance des dispositions précitées est inopérant ;
3. Considérant qu’aux termes de l’article A. 114-8 du code de l'aménagement de la Polynésie française : « 1.- La demande d’autorisation de travaux immobiliers est établie conformément à un modèle type. / Elle est présentée : / (…) par le propriétaire ou les propriétaires du ou des terrains, leur mandataire ou par une ou plusieurs personnes attestant être autorisées par eux à exécuter les travaux (…) » ; qu’aux termes de l’article A. 114-9 du même code, la demande de permis de construire comporte « l’attestation du ou des demandeurs qu’ils remplissent les conditions définies à l’article A.114-8 pour déposer une demande de permis » ; qu’il résulte de ces dispositions que les demandes de permis de construire doivent seulement comporter l’attestation du pétitionnaire qu’il remplit les conditions définies à l’article A. 114-8 ; que les autorisations d’utilisation du sol, qui ont pour seul objet de s’assurer de la conformité des travaux qu’elles autorisent avec la législation et la réglementation d’urbanisme, étant accordées sous réserve du droit des tiers, il n’appartient pas à l’autorité compétente de vérifier, dans le cadre de l’instruction d’une demande de permis, la validité de l’attestation établie par le demandeur ; qu’ainsi, sous réserve de la fraude, le pétitionnaire qui fournit l’attestation prévue à l’article A. 114-8 du code doit être regardé comme ayant qualité pour présenter sa demande ; que toutefois, lorsque l’autorité saisie d’une demande de permis de construire vient à disposer au moment où elle statue, sans avoir à procéder à une mesure d’instruction lui permettant de les recueillir, d’informations de nature à établir son caractère frauduleux ou faisant apparaître, sans que cela puisse donner lieu à une contestation sérieuse, que le pétitionnaire ne dispose, contrairement à ce qu’implique l’article A. 114-8 du code de l'aménagement de la Polynésie française, d’aucun droit à la déposer, il lui revient de refuser la demande de permis pour ce motif ; qu’il en est notamment ainsi lorsque l’autorité saisie de la demande de permis de construire est informée de ce que le juge judiciaire a remis en cause le droit de propriété sur le fondement duquel le pétitionnaire avait présenté sa demande (CE 19 juin 2015 n° 368667, A) ;
4. Considérant que par un arrêt du 17 mars 2016 largement diffusé dans les media locaux, rendu sur un litige opposant d’une part des sociétés civiles immobilières ayant acquis des terrains devenus le lotissement Miri, et d’autre part les consorts Pomare en qualité d’héritiers de la reine Pomare IV qui soutenaient qu’elle les avait reçus en donation en 1850, la cour d’appel de Papeete a débouté les parties de l’ensemble de leurs demandes, aux motifs que les consorts Pomare ne justifiaient pas de leurs qualités à revendiquer les terres litigieuses, et que les sociétés civiles immobilières les avaient acquises auprès de personnes qui n’en étaient pas légalement propriétaires ; qu’il ressort de cet arrêt, qui analyse les origines de la propriété du tènement de 150 hectares devenu le lotissement Miri, que les lots ont été vendus par des personnes morales qui les avaient acquises auprès de la SCI Les Hauts de Papearia, cette dernière ayant reçu le tènement lors de la dissolution-partage, le 29 septembre 1975, d’une SCP Le Lotus qui n’en était pas propriétaire ; qu’eu égard à l’information dont elle disposait ainsi sans avoir eu à procéder à une mesure d’instruction, l’administration n’a pas méconnu les dispositions des articles A. 114-8 et A. 114-9 du code de l'aménagement de la Polynésie française en examinant la validité du titre de propriété de M. S. ; que la circonstance que le pétitionnaire avait présenté sa demande de permis de construire par l’intermédiaire d’un mandataire est sans incidence sur la légalité de cet examen ;
5. Considérant que le requérant ne peut sérieusement se prévaloir d’un permis tacite né le 6 mai 2016, antérieurement au dépôt de sa demande le 15 juin 2016 ;
6. Considérant qu’ainsi qu’il a été exposé au point 4, l’arrêt de la cour d’appel de Papeete du 17 mars 2016 juge que la SCI Les Hauts de Papearia, qui a cédé les 150 hectares devenus le lotissement Miri à diverses SCI, devenues SNC, dénommées Delano, n’en était pas propriétaire ; qu’alors même que ni M. S., ni les SCI Delano 6 et Delano 7 qui lui ont vendu son terrain n’étaient parties au litige tranché par la cour d’appel, la décision du juge judiciaire fait apparaître, sans que cela puisse donner lieu à une contestation sérieuse, que les propriétaires de lots du lotissement Miri les ont acquis de personnes qui n’en étaient pas elles-mêmes propriétaires, ce qui remet nécessairement en cause leur qualité de propriétaire apparent ; que, par suite, la Polynésie française n’a pas commis d’erreur de qualification juridique des faits en estimant que malgré son titre de propriété, M. S. ne disposait d’aucun droit à présenter une demande de permis de construire ;
7. Considérant qu’il résulte de ce qui précède que M. S. n’est pas fondé à demander l’annulation de la décision du 21 juin 2016 par laquelle le chef du service de l’urbanisme de la Polynésie française a rejeté sa demande de permis de construire ; que, par voie de conséquence, ses conclusions aux fins d’injonction et d’astreinte doivent également être rejetées ;
8. Considérant que M. S., qui est la partie perdante, n’est pas fondé à demander qu’une somme soit mise à la charge de la Polynésie française au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative ;
D E C I D E :
Article 1er : La requête de M. Fabrice S. est rejetée.
Article 2 : Le présent jugement sera notifié à M. Fabrice S. et à la Polynésie française.